Corneille

I. Les vertus de l’amour – Vices ou vertus de l’amour, Hélène DEVISSAGUET

Cours diffusé en visioconférence interactive le 15 décembre 2016 depuis le Lycée Jean-Pierre Vernant de Sèvres dans le cadre du Programme Europe, Éducation, École : http://www.projet-eee.eu

Dans le théâtre de Corneille, le déchirement des héros devant choisir entre vertu et amour est proprement tragique : ce dilemme, appelé couramment cornélien, entre les raisons du cœur et celles de la morale, semble exclure l’un de l’autre amour et vertu. Si l’amour relève de la sensibilité et du sentiment, et si la vertu relève, elle, de la raison morale et du devoir, érigé légitimement pour tenir en bride cette sensibilité qui peut par ses débordements nous mener au pire de la passion, comment sans contradiction parler des vertus de l’amour ? L’amour que le dramaturge met en opposition avec le courage et la force d’âme héroïque du combattant qui accomplit son devoir (sens premier de la virtus romaine propre à Horace), est celui de la passion, celle qui ravage les cœurs et les tient sous sa domination sans plus entendre raison, ce qui justifie pour Horace de tuer sa propre sœur Camille. Mais si cet amour est objet d’un dilemme qui déchire la conscience, c’est que l’amour, même passionnel, n’est ni détestable ni méprisable, que l’élan du cœur et ses émotions les plus sensibles, ainsi que son désir le plus brûlant, sont aimables, pour le plus commun des mortels comme pour le plus héroïque d’entre eux. Un autre héros célèbre, cette fois sous la plume de Racine, Pyrrhus, est prêt par amour pour une femme, une ennemie, une esclave, Andromaque, à renverser l’ordre ancien du monde, à transgresser ses valeurs, à bafouer la mémoire des pères héroïques, à parjurer ses promesses, à provoquer même une guerre contre ses propres alliés, à offrir son trône au fils d’Hector, l’ennemi séculaire, et à trahir les siens. L’amour ici n’est pas pour autant immoral, il affranchit le héros de l’ordre ancien, il est subversif et moderne, il est libre, mais il se heurte de toute part à la vertu et au devoir, à commencer par ceux d’Andromaque. Ce n’est donc pas que par ses vices que l’amour semble s’opposer à la vertu. Mais Pyrrhus meurt, et les larmes qui accompagnent l’amour fidèle et vertueux d’Andromaque en font la seule héroïne de la tragédie. La vertu et la force d’âme, proprement viriles, peuvent donc bien être du côté de l’amour, aussi sensible et émouvant se manifeste-t-il, par exemple dans les larmes d’Andromaque. Chez Racine, amour et vertu ne s’opposent plus, mais tissent au contraire des liens complexes, car la vertu elle-même n’est pas insensible…

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